L’itinéraire d’un mystique : L’âme de Kairouan

L’itinéraire d’un mystique : L’âme de Kairouan
Sidi Amor Abada
Par Mondher Chafra


Rares sont les études qui ont abordé l’œuvre mystérieuse de Sidi Amor Abada qui s’est consacré un prestigieux mausolée au sein de la médina de kairouan enveloppé de ses Dômes multiples et de sa tombe funéraire non loin du grand Martyr Abu Zamaa al balaoui l’Apôtre du prophète Mohammed et surnommé par les natifs kairouanais par Essayed ou le Cid aux références andalouses bien loin dans une postérité historique. Aussi serait-on amené à préciser le contexte général qui a fait sévir la mentalité mystique populaire autour de ses dons dans le domaine de la charité et la béatitude psychosomatique ; c’est que selon le rituel sidi Amor abada se présente à la fois comme artiste , guérisseur et meneur de foule en se dotant de cette force physique qui lui confère une prestigieuse renommée dans toute la ville. Il convient à cet égard de préciser que le qualificatif Sidi est souvent donné aux gens illustre et qui ont la charismatique présence religieuse et fanatique comme sidi sahnoun l’un des détenteurs de la lignée sunnite, sidi boudokhane , le mausolée du guérisseur charlatan, sidi hanach al sanaani qui symbolise la qualité des conquérants et Lella rayhana au matmar qui excelle dans le domaine des spiritualités féminines auprès de la grande Mosquée.
Il est très difficile de bien cerner les vrais origines de Sidi Amor Abada sans avoir des documents à l’appui, c’est que l’ouvrage de Al dabbagh « A la reconnaissance de gens de kairouan » s’arrête bien avant au quinzième siècle, et l’on peut voir une allusion biographique dans l’ouvrage de Kenani « Le complément des bienfaiteurs » avec une allusion bien restreinte à la personne sans attirer l’attention sur ses œuvres , Idem pour « les feuilles » de Hassan Hosny abdelwaheb et l’ouvrage « kairouan » du professeur Monji al kaabi ; la part artisanale et artisque est souvent sous estimée et bafoufée pour glorifier le côté religieux et l’héritage de la madrassa sunnite érigée par la célèbre Lettre « al rissala » de Abi zayd al qayrawani que les wahabites honorent et célèbrent. Outre ces écrits , les témoignages des familles voisines et des maîtres nous ont permis , par le biais de leurs descendants, de voir ce visage mystérieux d’artiste à la fois naïf et judicieux, scientiste et en même temps pieux…
Pour ce qui est des origines, notons bien le témoignage du professeur Ameur sahnoun qui a précisé que la forge n’était pas l’apanage de Abada et qu’il la détient de la famille Sahnoun originaire de la ville de kairouan. Ce constat nous amène à comprendre l’imprégnation de ce jeune paysan qui vient s’intaller à kairouan après avoir passé une parti de sa vie dans les contrées de makthar, une prestigieuse région des vestiges byzantins, là où l’art s’est développé dans les sites historiques qui demeurent intactes malgré les ravages de la nature. La tribu à laquelle appartient sidi Amor est Awled Ayar , connue par ses grandes ramifications dans l’ouest Tunisien et l’usage pastoral sans édification précise sur le plan architectural dans la mesure où ils sont nomades pour la plupart. Originaires de la presque ile arabe, leur qualité majeures est la mémoire orale d’une langue en pleine mutation et n’excellent pas dans le domaine de la calligraphie.
Qu’est ce qui a pu insuffler à cette âme pastorale le don citadin ? Peut-on dire que le génie de Abada réside dans un mimétisme créateur ?
En vérité, l’œuvre et l’espace aménagé par ce mystique dans un contexte sunnite conservateur permet de dévoiler le dessein d’un individu aux croyances multiples et ouvertes aux horizons ouverts. Le mausolée de sidi Amor Abada est le lieu de vie et de mort, lieu de lecture et de réception, une évocation du pénombre et voire même de la lumière ; un paradoxe vécu au quotidien et une exaltation d’un rituel restitué dans les objets d’art. Au fond, l’expression naïve et profonde permet de sonder les contrées imaginaires qu’il ne cesse de retracer.
L’an 1844 sidi Amor a préféré débuter l’édification de ce mausolée qui lui sert d’atelier et de tombe sous l’égide de l’un des représentants de la monarchie Housseinite l’illustre Ahmed Pacha, qui a dû lui consacrer une rente considérable vu qu’il a prouvé des dons soufis et une compétence de gestion unique. Cet espace de 1750 mètres est une exposition artistique qui divisée en salles polyfonctionnelles et surtout caritative, c’est dans cette perspective cartative que l’on peut concevoir l’œuvre de Abada dans la mesure où l’humaniste est mêlé au pouvoir de l’imaginaire avec une vénération du corps en rapport corrélatif avec la désacralisation comme une délivrance continue.
En cette année et en occident nous assistons bizarrement à la floraison en 1844 de l’œuvre de Henri Rousseau qui excelle dans le domaine de l’art naïf, en mettant en exergue le déploiement d’une liberté non conventionnelle et qui moque bien de la perspective et du rituel artistique. Pour ce qui est de l’œuvre de sidi Amor Abada, notons bien qu’il excelle dans ce mariage si arrangé du bois et du fer, entre ébéniste et forgeron ; le sort de l’œuvre part dans une alliance des contraires, l’exercice d’un imaginaire hors du commun dans la mesure où le contexte social ne permet pas ces folies incarnées et ces hérésies qui sortent du sillon habituel de la Madrassa.
Il s'agit dès lors d'une révolution profonde et marque de toute force l’ampleur et l’étendue des confusions tragiques et de perspectives nouvelles remarquablement fécondes à travers des œuvres qui peuvent paraître simples mais pas simplistes. En ce sens , il y a un va- et- vient entre ces éléments ; des traits qui participent à forger un concept ; celui de la vraie perception, c’est comme si l’artisan prédisposait ses œuvres à toute réception possible . Le statut contemporain de l’œuvre d’art se manifeste dans des illustrations marquante et dans l’expression des plis sur le plan de la forme et du contenu. Le visible est désormais un domaine consacré au sacré et sombre dans des sphères liturgiques, une sorte d’espace fermé qui s’ouvre à mesure qu’on avance.

On est amené à mieux considérer l’intervention de l’esthétique de l’art moderne ; celui de la rupture vis-à-vis du consacré là où la région est presque déserte sur le plan de l’art. C’est une suite de modalisations artistiques, là où on est tenté de découvrir chez les artistes un consolidation du moi collectif dans sa fantaisie et ses intentions de délivrance ainsi qu’ une nouvelle vision pour bien façonner son propre corps dans le tombeau qu’il a édifié et en faire une œuvre d’art souvent sujette aux polémiques.

Et à partir de ce moment , on laisse la bride libre à l’âme mystique avec l’appui des mécènes de se représenter les traces du naturel dans l’art , sur panneau central nous rappelant celle du prophète dans la perspective musulmane. Il semble être l’instrument, le support, le moyen d’expression plastique et brusque même son créateur , un corps qui crée une philosophie propre à lui sans l’intervention du véridique et du culturel.
C’est avec la pensée simple et édifiante de Picasso que nous retrouvons cette enfance enfouie en nous -même :
" Il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant ". disait Picasso. Le dessin et la gravure des pensées les plus libres sont sujet à la délivrance.

Notre propos est consolidé par les réflexions philosophiques qui partent du palpable pour parvenir au spirituel. Il convient à cet égard de s’armer de patience afin de parvenir à inculquer cette culture aux dimensions à la fois intellectuelle et populaire, par le biais des habitudes de réflexion qu'elle lui communique, par la culture tout à fait liée à cela de la raison. Aristote pense pour sa part avance que :

« Parmi les sciences, dit Aristote, celle à laquelle on s'applique pour elle-même, et dans le seul but de savoir, est plus philosophie que celle qu'on étudie à cause de ses résultats [...] Connaître et savoir, dans le but unique de savoir et de connaître, tel est par son excellence le caractère de la science de ce qu'il y a de plus scientifique. » (Métaphysique, I ,1, 2).

C’est pour cela que toute connaissance acquise nous permet d’ouvrir de nouveaux horizons et de franchir de nouveaux seuils dans la sphère de l’esthétique artistique afin de valoriser ce qui demeure enfoui et mal interprété. Une forme d’art qui relate l’esprit coréen du pansori avec l’exaltation musicale unique et le rituel chamanique aux dimensions ethniques. Le but ultime de ce genre d’exercice choral et la connaissance dans sa conception mystique arabo-musulmane. Il est judicieux de faire appel à Hò Kyu pour mieux confirmer l’importance de la perception et l’ouverture du local sur le monde hors de l’espace et du temps :

« Et plus ce sera coréen, plus ce sera universel », au sujet de Abada on dirait que plus l’art est kairouanais plus il se dote d’universalité. C’est que dans l’expression mystique abadienne l’objet chtonien acquiert une dimension symbolique et tente de communiquer paradoxalement un savoir sauvage et non docile. C’est en ce sens que l’on peut affirmer que la pensée la plus forte est celle qui se dote de rébellion, un esprit de Révolution avant- la lettre.

Il est à noter dans cette même perspective que les nous tenterons d’interroger , s’inscrivent dans le cadre d’une méditation sur l’existence humaine et surtout l’importance de la communication écrite en se souvenant des écrits arabes anciens , ce qui renforce le choix d’une étude du physique et de l’espace dans la représentation, l’expression artistique est enfoui dans le religieux, dissimulé dans les plis de l’artisanal, chez Abada l’art n’est une affiche mais un message à déchiffrer à chaque fois renouvelé dans des découvertes rituelles. . Mais en dépit de tout, le paramètre social et psychologique serait d’une grande importance car il met en avant le vrai sens de l’étude esthétique surtout moderniste :

Lisons bien dans l’Encyclopédie :« Voici les principales divisions proposées classiquement pour l'esthétique :

Une première partie, à la fois métaphysique et psychologique, contient l'analyse et la discussion de l'idée du beau et des autres idées qui s'y rattachent, du sublime, de la grâce, de la dignité; du joli, etc.; la description des sentiments qui les accompagnent, et des facultés par lesquelles l'esprit humain crée le beau ou le perçoit, tels que l'imagination, le goût.

Une seconde partie comprend l'étude du beau dans la nature et dans l'art, les principes de l'art et ses lois générales; la théorie des beaux-arts pris chacun en particulier, architecture, sculpture, peinture, musique, poésie, etc »
Notons bien que l’éphémère et l’indélébile permet à travers l’œuvre de l’artiste de mieux sonder le vécu et parvenir au fond des choses, le musée marabout de sidi Abada est la meilleur illustration de la nature ralliée à l’homme, la forge fruit du labeur humain et le bois qui parvient des forêts avoisinantes et naturelle avec l’intrusion de l’écrit pour accentuer la force de la pensée humaine.

En fait, le regard devient au fond un pouvoir et permet de mieux accepter le toucher comme lecture première, un regard baladeur à travers un univers symbolique. Depuis l’ère du temps l’œil est souvent lié à la lumière et à la profusion des rayons qui illuminent l’espace par des fenêtres agencées géométriquement. Dans la philosophie, surtout avec Platon, “désir érotique, désir du beau, désir de savoir sont en continuité et participent aussi au regard. Ces deux aspects du regard, présence dans le visible et dans le désir, seront effacés par l'épisthémè de la représentation qui caractérise l'âge classique avec l'apport de l'optique géométrale et de la phénoménologie de la perception excluant du champ visuel, le désir et la jouissance. “ Cette pensée ne vient pas ici pour faire le culte de l’objet dans ses formes diverses et dire que nous nous sommes coupé de son héritage islamique, mais pour mettre en exergue que la théorie de la perception avec merleau-ponty et avec Freud vient aussi terminer cette vision et lui donner plus de valeur..

Il sied à cet égard de s’interroger : qu’est-ce que l’art ? pouvons-nous définir l’esthétique de la modernité comme une esthétique de la rupture ? On entend par esthétique, non seulement le fond et la forme, mais aussi la visée du quotidien. L’encyclopédie Universalisa définit le mot ainsi : dans la synchronie, " elle insère l’objet dans la culture qui le produit, elle établit la relation multiple et équivoque de l’invention aux systèmes qu’elle déconstruit pour reconstruire, de l’œuvre au milieu social ". Dans la diachronie, " elle est la continuité qui sous-entend la discontinuité d’un genre, d’un style ". Ainsi, le mot esthétique entraîne implicitement la notion de rupture. L’œuvre de l’artiste s’inscrit davantage dans une tradition historique qui pose les questions suivantes : rupture avec toute forme consacrée ?

Ces questions d’ordre esthétique surviennent lors d’une visite éclair de ce marabout- Musée, le regard occidental est plus indulgent et parvient rapidement à décortiquer la singularité de ses œuvre alors que le regard arabo-musulman répond souvent par ce sourire insipide et insignifiant.

La caractéristique majeure de ces œuvres est l’immense dimension comme l’ancre exposé en plein ville, les épées qui ne correspondent pas à la forme onduleuse et courbée des épées arabes.
L’œuvre de Abada est souvent imprégnée de symbolique humaine fondée sur la forge et le façonnement de l’ébéniste. L’ancre aux dimensions uniques qui dépassent les trois mètres relate cette volonté de voyager dans un pays aride et partir dans une exploration initiatique mais ce qui attire l’attention c’est ce qui est relatif aux épées rectilignes et droits, puisqu’il ne s’accordent pas avec la forme sinueuse et courbée des lames arabes, on peut lire gravées sur la gaine en bois des écritures koufies de versets coraniques , avec l’alliance du fer et du bois la longueur de deux mètre permet de distinguer les difficultés d’usage militaire des ces engins.
L’agencement de ces œuvres artistiques à part entière autour de cette sépulture toute en bois et qui laisse entrevoir entre les ouvertures en bas relief la tombe de celui qui rêve du céleste mais demeure esclave du chtonien, telle la destinée de ceux qui œuvrent dans les arts pour un moment de délivrance.
Le panneau en bois rustique et qui dépasse les quatre mètre de hauteur et les trois en largeur retrace des écrits uniques avec la fantaisie de celui qui mise sur la forme et le contenu, notons bien à cet égard les remarques judicieuse de madame le professeur et l’hispaniste Amélie Adde qui confirme que l’inspiration coranique originelle est dépourvue de ces points qui ornent les lettres et que l’on retrouve en Andalousie des formes similaires dans les ogives de la grande mosquée. Tout permet de marquer une singularité artistique et une intentionnalité herméneutique dans l’œuvre cible entre transcription graphique, façonnement de la matière et expression artisanale du quotidien de celui qu’on surnomme fou et charlatan mais qui privilégie d’une pensée protectionniste des Beys de l’époque.
Outre cette exaltation formelle et calligraphique transcrites sur la muraille en bois , le contenu est souvent sujet à une fantaisie imaginative.
Selon les écrit le rêve de ce patron forgeron si Salem est d’effectuer un voyage parmi les astres afin de leur communiquer l’ampleur de son âme et la volonté de transmettre le chtonien dans le céleste,
La coupole centrale est dotée d’une double structures et la dôme extérieure marque bien ces fenêtres disposées géométriquement en suivant l’illumination solaire journalière en ayant les mêmes nervures et muqarnas qui se répandent dans la ville, paradoxalement cet espace n’est pas consacré à la prière et permet de considérer une quiétude de l’âme avec ces œuvres , souvent les caractères est homogène et traduit un esprit fantaisiste naïf avant la lettre
A lire ses écrits sur le modèle papyrus en bois on peut déceler une aventure imaginaire là où il raconte son voyage vers des lieux fantastiques et la propagation d'une vision idyllique de mercure là où il pourra quitter ce monde ci- bas , pour la première fois le MOI solitaire d’un marabout aux dons artistiques exalte ses pensées afin de les transmettre à la postérité, en nous rappelant les prédications des sidi Mizouni qui parlait des eaux qui courent dans le fer et le feu électrique dans les murs.
Ainsi la pipe, l'épée, le mortier en bois et les autres ustensiles aux dimensions grandioses rappellent bien la fantaisie du douanier rousseau et le souci de Représenter comme spectacle et déjouant le fanatisme religieux de l'époque dans le mesure où l'art artisanal brusque par sa simplicité et sa vocation vers le quotidien, un hymne qui fait appel à l’éclat de la création en vivifiant la matière, en lui insufflant une autre existence tout à fait multiple et rallie la connaissance à l’art ; déjà nous pensons aux écrits de Mario Perniola qui valorise la dimension artisanale de l’art qui doit selon lui fusionner avec le quotidien pour quitter la sphère pseudo noble des intellectuel ; c’est que l’artiste est l’être le plus ancré dans son vécu et qui produit ces folies multiples de son vivant et rappeler la postérité de son existence.
En fait, sa force physique et sa mentalité débridée lui ont valu l'hostilité des hommes de religions et combien de fois l’on note ses combats effectifs et tout à fait physiques qui accentuent ses qualité d’athlète et son hégémonie sur ses concurrents.


Sidi Amor Abada se distingue par cette vocation d’asservir le fer et le bois pour en faire une grande métamorphose artistique des idées fantaisiste et l’exaltation d’un Moi éclaté. Un artiste considéré par le peuple de son vivant comme une âme salvatrice et bénéfique , un génie qui devance son époque par les beys de l’époque mais la postérité marquera bien la part esthétique très peu analysé et interprété par l’univers contemporain.

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